Le parcours de Frédéric, aujourd'hui 38 ans.
Frédéric a aujourd’hui 38 ans. Il faut donc se reporter plus de 30 ans en arrière pour aborder ce témoignage.
Il vous semblera peut être, en le lisant que c’est très anecdotique, mais derrière l’anecdote il y a toujours une souffrance ou une source d’espoir.
Frédéric est né dans une famille médicale : son père est médecin (neuro-psychiatre) et sa mère ancienne monitrice d’école d’infirmière travaille dans le cabinet de son mari.
(Cela a une certaine importance).
Il a un frère de 8 ans son aîné et une sœur qui a un peu moins d’un an de plus que lui.
Une aide familiale prend en charge les enfants de la sortie de l’école jusqu’au retour des parents qui se situe aux alentours de 20h.
Après 3 ans de maternelle, Frédéric rentre à l’âge normal en Cours Préparatoire.
En cours préparatoire :
Dans un premier temps, tout se passe bien.
C’est pendant les vacances de Pâques que Frédéric commence à se plaindre de ne pas pouvoir lire des livres comme le faisait sa sœur l’année précédente à la même époque, demandant : Quand est-ce que je saurai lire ?
Tout le monde le rassure, car à ce moment là, il a beaucoup moins avancé dans le programme de CP que sa sœur au même moment, sa maîtresse allant plus lentement.
Un mois plus tard, notre aide familiale me demande si je peux me libérer un soir, pour aller le chercher à l’école, me disant qu’elle aimerait que je le voie à ce moment-là.
Je vais donc le chercher et je reste stupéfaite par son état prostré. Après le goûter je m’intéresse à ses devoirs et me rend compte très vite qu’il a beaucoup de mal à déchiffrer la leçon qu’il a à lire. Il semble épuisé. Or Frédéric est habituellement un enfant très gai et plein de vie.
Après un moment de jeu son caractère joyeux reprend le dessus et la journée se termine calmement.
Au dîner, je raconte ce qui s’est passé à mon mari et nous décidons que j’irai voir la maîtresse pour essayer de comprendre.
La maîtresse me fait des éloges de Frédéric et ne s’inquiète aucunement de ses difficultés en lecture, (il faudra le faire lire un peu pendant les vacances). Toutefois, comme je m’inquiète de son état à la sortie de l’école, la maîtresse me dit alors qu’il se couche souvent sur son bureau mais que c’est sans doute parce qu’il est fatigué. Or c’est un enfant qui ne se couche pas tard, qui s’endort vite et qui paraît tout à fait reposé le matin et plein de vie.
Le week-end suivant, mon mari fait lire Frédéric et immédiatement évoque une dyslexie.
Mais le temps passant, son état se dégrade, évoluant vers un état dépressif qui commence à nous inquiéter. L’arrêt de la scolarité a même, à un certain moment, été envisagé.
Confrontés à un problème inattendu nous décidons de nous réorganiser sur le plan professionnel et je me libère pour être présente à la sortie de l’école et apporter mon aide à Frédéric.
Très vite je me rends compte que je suis totalement inefficace.
Un bilan orthophonique est alors réalisé mettant à jour une dyslexie mixte.
Une prise en charge est donc organisée pour l’année suivante. Entre temps les vacances arrivant, nous espérons que Frédéric retrouvera sa joie de vivre.
Mais nous nous posons des questions : Pourquoi ?
Frédéric était bien le dernier pour lequel nous avions des inquiétudes, le Directeur de l’école nous ayant du reste, à la rentrée précédente, proposé de lui faire sauter une classe.
Nous nous organisons donc pour faire face : Mon mari, étant donné sa profession, préfère que ce soit moi qui face le lien avec l’école et que je m’occupe donc de la scolarité et de la rééducation. Il prend en charge par contre toutes les activités extrascolaires, qui vont des loisirs habituels aux séances de jardinage et de bricolage. (Vive la bêche et le pinceau !!!).
En CE1
L’année est très difficile, l’institutrice ne connaît pas la dyslexie. (Moi non plus !) Elle n’admet pas que Frédéric puisse sortir un peu plus tôt de l’école 2 jours par semaine pour la prise en charge orthophonique, et nous devons donc composer avec les horaires de l’orthophoniste et la fatigue de Frédéric.
En fin d’année, pour rassurer la maîtresse, je vois le psychologue scolaire avec tous les cahiers de Frédéric (travail fait en classe et travail fait à la maison) car elle ne veut pas prendre la responsabilité du passage en classe supérieure. J’explique au psychologue les difficultés de Frédéric et comment j’ai travaillé tout le long de l’année, lisant les leçons à apprendre, les enregistrant sur cassette, lisant les consignes des exercices et laissant Frédéric faire ses devoirs au brouillon et les recopier après que j’aie corrigé (uniquement les fautes d’orthographe) pour qu’il rende un travail le plus propre possible.
Le psychologue m’écoute, m’avouant qu’il ne connaît pas la dyslexie, mais qu’en regard des cahiers et du suivi de Frédéric, il a peur qu’il s’ennuie si on le fait redoubler.
Comme l’orthophoniste veut arrêter les séances car elle pense avoir atteint un palier et préfère laisser passer un peu de temps, le psychologue me conseille alors de lui demander de continuer la prise en charge, pour rassurer l’institutrice et pour me soulager d’une partie du travail que je fais tous les jours !!!
Pendant cette année de CE1, des gestes stéréotypés apparaissent et nous hésitons à mettre en place, en plus, une prise en charge psychomotrice.
CE2
Son instituteur le prend merveilleusement en charge. Il fait tout son possible pour lui redonner confiance et atténuer son angoisse, l’interrogeant à l’oral, ne le pénalisant pas pour ses fautes d’orthographe… et grâce à des jeux très rapides en groupe dans la cour de l’école, il réussit même à faire cesser les gestes stéréotypés.
La seule remarque qu’il nous fait, c’est qu’il fallait lui laisser le temps d’apprendre à contourner ses difficultés. Selon lui si on ne l’arrête pas il peut aller très loin. Il nous conseille de continuer à l’aider et de prendre sur nous la responsabilité de le faire passer de classe en classe.
Par la suite, dans les moments de découragement, j’ai souvent repensé à lui et j’ai toujours suivi son conseil.
Tout au long du CM1 et CM2 je continue à lui apporter mon aide. Les enseignants sont très réticents vis-à-vis des séances d’orthophonie. Nous les arrêtons donc pensant les reprendre un peu plus tard. A la place Frédéric commence des leçons de musique. Nous expliquons au professeur ses difficultés. Dans notre esprit il ne s’agit pas d’en faire un concertiste mais de profiter de son goût pour la musique pour lui faire travailler un autre type de lecture, d’entraîner ses yeux à un autre balayage et de faire travailler ses doigts de façon plus ludique, sans qu’il y ait une pression trop grande.
La lecture des notes s’avère très difficile et comme Frédéric a une bonne oreille musicale, il apprend très vite les morceaux et joue à l’oreille. Le déchiffrage est resté difficile mais la dextérité des doigts s’est, elle, améliorée au fil du temps. Par la suite il a fait beaucoup d’exercice de rythme.
Au collège :
6eme :
Dès la rentrée, je prends contact avec le principal du collège pour lui expliquer les difficultés de Frédéric. Il m’écoute poliment et me dit qu’il ne sait pas ce qu’est la dyslexie, qu’il veut bien me croire mais qu’il ne voit pas trop en quoi il peut nous aider.
Je continue l’apprentissage oral des connaissances.
Règles de grammaire : Il les sait par cœur mais ne les applique jamais.
Orthographe : Etude de mots avec le dictionnaire pour qu’il en connaisse bien le sens. (Je m’étais rendu compte qu’il faisait des erreurs de mots en parlant mais sans penser que cela pouvait être de la dysphasie). Il peut avoir de bonnes notes en autodictée mais cela ne lui sert à rien. Il est capable d’écrire le même mot de trois façons différentes dans le même texte.
Nous essayons de lui faire faire du latin pour voir si cela peut l’aider. Echec complet.
Mathématiques : J’obtiens non sans mal qu’on lui laisse sa table de multiplication bien qu’il sache se débrouiller en calculant : 3x6= 3x(5+1). Il sait la table de 2 à 5 sous forme de suite : 2,4,6,8…., 3,6,9,…..
Je lui lis systématiquement les énoncés de problème tout en lui apprenant la technique : lire l’ensemble de l’énoncé une ou plusieurs fois avant de reprendre les questions les unes après les autres.
Histoire, Géographie.
La copie des cours sur le tableau est pratiquement impossible. Les cours sont pleins de faute et souvent incomplets par manque de temps.
Je le fais travailler sur les livres et j’enregistre les points importants à mémoriser. Il peut travailler ainsi sans que je sois continuellement sur son dos.
Je prends rendez-vous avec le professeur principal : professeur de Français et d’Histoire pour faire le point en fin de 1er trimestre.
Il est certain qu’elle n’a jamais entendu parler de dyslexie et est très sceptique. Lors de notre conversation, en présence de Frédéric, elle me dit que s’il ne peut pas faire autre chose, il pourra toujours faire électronique. Malheureuse remarque, car depuis ce jour là il n’a plus voulu toucher un ordinateur même pour jouer.
Mais Frédéric a beaucoup de chance car en histoire, ce professeur donne à ses élèves des exposés à préparer en binôme.
Frédéric et son camarade qui le connaît depuis le CE1, préparent en début du second trimestre un exposé sur la Grèce antique. Ils travaillent ensemble l’exposé, à l’aide de l’encyclopédie et de divers documents. Son camarade lit à haute voix et écrit le texte sous la dictée de Frédéric.
Le jour de l’exposé arrive et par un bienheureux concours de circonstances, le principal du Collège est présent. Le camarade ne voulant plus faire l’exposé, Frédéric se lance alors à son secours et sans notes se met à parler de la Grèce et répond à toutes les questions qu’on lui pose. Ce sera le seul 20/20 de sa scolarité.
L’après midi, je reçois, non sans éprouver sur le moment une certaine inquiétude, un appel du Principal qui me raconte ce qui vient de se passer et me dit comprendre à présent ce que j’avais essayé de lui expliquer.
Et c’est ainsi que Frédéric a désormais un précieux soutien au sein du collège et que le regard de ses camarades n’a plus jamais été le même.
Psychologiquement c’est très important.
Le professeur de Mathématique s’arrache un peu les cheveux lors du passage en 5eme, mais je lui dis que nous prenons tout sur nous, qu’elle ne sera pas responsable de son échec en 5eme.
5eme :
J’apprends par une revue médicale qu’un Congrès international a lieu au ministère de la santé à Paris sur la dyslexie. Je m’inscris immédiatement.
C’est là que j’entends pour la première fois le Professeur Gallaburda (USA) parler des travaux de recherche sur des cerveaux de personnes décédées dont on savait qu’elles étaient dyslexiques. Il explique que le cerveau de toutes ces personnes présente une configuration très différente par rapport à la norme et que l’on peut trouver des familles de dyslexiques.
Je rencontre ce jour là des parents anglais et un chef d’établissement de Collège anglais. J’apprends ainsi qu’en Grande Bretagne des établissements spécialisés existent depuis de nombreuses années. Malheureusement ma connaissance limitée de la langue m’empêche de suivre la discussion très vive qui s’est engagée entre eux. Je sais qu’une mère disait qu’elle avait choisi de faire faire du violoncelle à son fils qui aimait la musique car les dyslexiques ne pouvaient pas faire du piano. Je me souviens avoir dit que Frédéric en faisait mais que nous lui avions fait faire du piano non seulement parce qu’il aimait la musique mais aussi comme une rééducation plus ludique.
Je suis revenue avec de la documentation et nous avons eu avec mon mari une longue séance de réflexion sur ce que cela pouvait changer. En fait je crois que nous avions grâce à la formation de mon mari, essayé de compenser certains signes qu’il avait détectés.
Nous sommes donc confortés sur le fait que la prise en charge de la dyslexie et de la dysorthographie de Frédéric ne doit pas être seulement pédagogique ou orthophonique mais qu’il est important de continuer à le stimuler diversement et que pour lui les activités extrascolaires sont très importantes.
Grâce à internet j’essaie de mieux m’informer, en particulier sur les sites canadiens plus accessibles.
En 4eme :
Le professeur de Mathématiques a déjà eu Frédéric en 6eme. Comme je la croise dans le collège, (je sors d’une réunion) elle m’interpelle, pour me dire que j’ai raison au sujet de Frédéric. Elle me dit : « Il a toujours de mauvaises notes, mais il suit très bien. Or s’il n’avait pas acquis le programme en 6eme et 5eme ce ne serait pas possible. Ses notes à l’écrit ne veulent rien dire car il a les connaissances. On peut s’en rendre compte car il participe beaucoup en classe. Continuez comme vous le faites. Il faut gagner du temps. »
Le professeur de Français s’inquiète quant à elle et me conseille de lui faire donner des leçons pour améliorer ses résultats. Je lui propose qu’il reprenne des séances d’orthophonie mais elle me dit qu’il vaut mieux lui faire faire des exercices. Va donc pour des cours de Français et de Latin 2 fois par semaine.
J’enregistre sur cassettes les livres que Frédéric doit avoir lus.
Au deuxième trimestre, Frédéric ne va pas bien et est à nouveau au bord de l’état dépressif. Plutôt que de le traiter, nous choisissons de lui changer les idées en l’envoyant pendant les vacances de Pâques en Angleterre. Il en revient heureux d’avoir su se débrouiller mais pas amoureux fou du pays !!
Les cours de français se sont prolongés en 3eme, sans résultats probants. Il est strictement illisible.
Frédéric demande alors à reprendre des séances d’orthophonie, pour améliorer son écrit. Après une discussion familiale générale, il nous semble à tous que ce qui serait bien c’est qu’il fasse sa seconde en deux ans pour lui laisser un temps de rééducation suffisant avant l’entrée en première.
Nous prenons rendez-vous avec le proviseur du lycée à qui nous expliquons la problématique. Celui-ci se montre compréhensif et ne voit aucune objection au projet. Nous tenons à ce que l’établissement soit informé pour qu’il n’y ait pas de pression excessive concernant l’obligation de résultat.
En Lycée :
2eme :
La prise en charge orthophonique est mise en place avec l’orthophoniste qui l’avait suivi en CE1, CE2.
Les notes de Frédéric ne sont pas bonnes mais pas plus mauvaises qu’en 3eme malgré la hausse du niveau. Il a par contre gagné le concours de photos organisé par le lycée !!!
Au cours de la deuxième année, ses cours deviennent un peu plus lisibles même s’ils sont criblés de fautes d’orthographe.
Et la chance ne l’abandonnant pas, il a l’occasion de participer à un stage de ski de fond que sa classe a gagné, je ne me souviens plus comment.
Ils partent donc tous pour une semaine avec le professeur de mathématiques et de sport.
A son retour, je suis sur le quai du train des pignes et je le vois arriver avec ses enseignants et se diriger vers moi. Les enseignants me disent alors qu’ils viennent de découvrir Frédéric. Je les sens très troublés par ce qu’ils jugent être pour eux, une expérience peu banale. Ils me décrivent le Frédéric que je connais depuis toujours, tel qu’il est en famille.
Un garçon très dynamique, organisé, capable de prendre des responsabilités, d’animer un groupe, de couper du bois et de faire du feu dans la cheminée. Ils sont surpris de l’immense fossé qui existe entre le Frédéric du Lycée, très effacé et en difficulté et le Frédéric gai et entreprenant du stage.
Ce stage a certainement facilité son passage en première. Je n’ai pas eu à argumenter.
Pendant les vacances d’été nous avons l’opportunité (par l’intermédiaire d’une association) de l’envoyer pour un mois en Californie. Il doit partir de Paris avec un groupe de lycéens de toute la France. Au dernier moment pour équilibrer les bus aux USA, on demande un volontaire pour changer de groupe. Frédéric accepte tout de suite, puisque seul de Nice, peu lui importe de savoir avec qui il va se trouver. Il fait donc le voyage avec des élèves de terminales et de prépa du lycée Louis le Grand à Paris. Ce que nous ignorons complètement.
Lorsque nous allons le rechercher à Paris sur le chemin de nos propres vacances, nous avons à nouveau les félicitations très spontanées de l’accompagnant du groupe. Il nous précise qu’il se serait trouvé en difficulté s’il n’avait pas eu Frédéric pour rassembler tout le monde, récupérer les affaires des uns et des autres, retrouver les égarés à San Francisco. Il nous en remercie vivement.
1ère S :
La correction du premier devoir de Français est un modèle du genre : faute par faute, ligne par ligne. Le professeur est rentré en classe en disant : « Je vous annonce une grande nouvelle : Nous avons battu le record de fautes d’orthographe au lycée cette année ». Frédéric est donc allé le voir après le cours en lui disant qu’il regrettait mais qu’il ne le faisait pas exprès, qu’il était dyslexique et dysorthographique. L’enseignant lui a immédiatement répondu qu’il savait ce que c’était (enfin !) et qu’il n’allait préparer avec lui qu’un seul sujet pour le bac, qu’il aurait - 4 pour ses fautes mais que s’il faisait un devoir bien construit, en exploitant au maximum ses idées il n’aurait pas beaucoup de points à rattraper. Toute l’année, il lui a donc appris à structurer son travail.
Résultat : 8 au bac français. (12-4). Inutile de dire la reconnaissance que porte Frédéric à cet enseignant.
Le passage en terminale n’étant pas accordé, nous proposons à Frédéric de lui faire faire sa terminale dans un établissement privé à petit effectif.
Après une très longue conversation avec la directrice d’un établissement qui nous avait été recommandé, Frédéric a accepté notre proposition et c’est ainsi qu’il a obtenu son bac avec mention assez bien.
Terminale :
Très tendu au début de l’année car il est conscient du coût de la décision que nous avons prise, je le vois petit à petit se détendre et retrouver son sourire.
A la fin du 2eme trimestre il me dit : « Je vais l’avoir ! »
Au dernier trimestre : « Je vais essayer d’avoir une mention ! ».
Que s’est-il passé ?
Un prise en charge « psychologique » très importante de la part des enseignants.
Frédéric très replié sur lui dans le cadre scolaire, se met enfin à oser poser des questions. Des réponses ciblées lui sont apportées dans un climat de très grande confiance.
Il réalise aussi qu’il a la chance d’avoir la volonté de s’en sortir et qu’il n’est pas le seul à avoir des difficultés.
Dans son groupe certains gaspillent de façon désinvolte l’attention qui leur est accordée alors que d’autres sont confrontés à des difficultés multiples, graves, qu’ils ont du mal à affronter.
Année Préparatoire à l’entrée en Fac de Médecine
Vers le mois de mai de la 1ère année, Frédéric se rend compte qu’il n’arrive pas au bout des QCM. Il a trop de difficultés en lecture. Il téléphone à son orthophoniste qui lui dit ne pas savoir comment l’aider car elle n’a aucune expérience avec des adultes. Je pense alors à une orthophoniste qui a l’habitude de la rééducation des personnes ayant eu des AVC. Après son échec au concours d’entrée, il lui téléphone et prend rendez-vous avec elle pour la rentrée.
Pendant sa deuxième année de 1ère année, il consacre une grande partie de son temps à la rééducation de la lecture.
Au bout de trois mois de séances d’orthophonie à un rythme assez intensif, son orthophoniste lui dit qu’elle n’ira pas beaucoup plus loin et qu’il devrait essayer des stages de lecture rapide.
Nous trouvons un stage pendant les vacances de Noël. Il téléphone à la personne qui organise le stage et lui explique sa situation. La personne lui répond que c’est la première fois qu’elle se trouve devant une telle demande et qu’elle est incapable de savoir si le stage va l’aider.
Il suit donc le stage. La monitrice est impressionnée par ses difficultés : les autres participants sont des personnes ayant besoin pour des thèses, des travaux de recherche, de lire un grand nombre de documents.
Au bout de la semaine de stage, il a fait des progrès mais sans atteindre un rythme correct. Elle lui demande de s’entraîner régulièrement et lui offre de participer gratuitement au stage de Pâques car elle a envie de savoir jusqu’où il peut aller.
Pendant le second stage, sa pratique s’améliore encore et finalement c’est ce qui lui a permis de réussir le concours d’entrée en Médecine.
Toutefois en situation de stress il n’est pas encore à l’abri d’erreur dans la lecture de consigne. C’est ainsi qu’en 2eme année lors de l’examen de fin d’année, surpris par sa note en biologie, il va trouver son professeur pour lui demander ce qui s’est passé. L’enseignant lui répond que la question qu’il avait traitée était super mais que ce n’était pas la question posée.
Il a donc encore à dominer son angoisse, mais petit à petit sa lecture devient plus fluide, lui permettant même de lire à voix haute lors d’une réunion (personne ne voulant lire) un document proposé à la réflexion.
Il a peut-on dire réussi à maîtriser la lecture et surtout trouvé enfin le goût de lire. Depuis le CP, il lui a fallu être patient !!!
C’est aussi en 2eme année qu’il se réconcilie avec l’ordinateur pour pouvoir taper les polycopiés des cours qu’ils ont à rédiger à tour de rôle. Le correcteur d’orthographe est alors précieux.
Car malheureusement son orthographe ne s’est pas améliorée. Il colle chaque année à un certain nombre d’épreuves écrites en juin. Mais par chance les épreuves se repassent oralement en septembre.
Frédéric prend l’habitude de passer de longues matinées à l’hôpital, de travailler sur les dossiers des patients, et de les examiner. Il peut ainsi bénéficier pleinement de la formation au lit du malade lors de la visite avec les médecins. Pour ces derniers, il est un peu un cas, car les stages ne sont guère suivis par les étudiants à cette époque.
Par la suite, pour des raisons que je n’aborderai pas car trop longues à expliquer, il est admis, après entretien avec un professeur des hôpitaux de Paris et un professeur de l’Ecole Centrale de Paris, à suivre une formation doctorante en gestion d’ Etablissements Sanitaires. Cette formation a lieu à l’Ecole Centrale de Paris, quelques jours par mois pendant 2 ans. Ils sont dix à la suivre avec tous un projet personnel.
Le responsable de la formation lui demandant un jour : Que faut-il faire pour avoir des dyslexiques à l’Ecole Centrale ?
Il lui répond de s’adresser à l’Education Nationale afin qu’elle permette, en toute connaissance de cause, que les enfants ayant des difficultés de langage oral et écrit puissent poursuivre des études dans de bonnes conditions.
Les difficultés de Frédéric ont eu des répercussions sur la famille. La première a été de nous obliger à nous organiser très sérieusement.
Mais l’union faisant la force, chacun a pris selon les moments, sa part de la charge.
La sœur de Frédéric étant dans la classe immédiatement au-dessus de la sienne, cela me permettait de voir où il se situait. Les conversations autour de la table familiales sont très révélatrices et très précieuses.
Lorsque nous avons décidé que Frédéric ferait sa seconde en deux ans, sa sœur, l’année d’après, a voulu à tout prix redoubler sa 1ère, disant qu’elle n’aurait jamais son bac si elle passait en terminale. Elle a toujours bien travaillé et il n’y avait aucune raison pour qu’elle redouble. Elle aurait pu au pire redoubler sa terminale. Elle était dans un tel état, que nous l’avons laissée redoubler, en pensant que ça lui permettrait de souffler un peu, de se désangoisser par rapport à son frère. Elle en a peut-être gagné une mention bien au bac, mais elle est restée toujours très angoissée.
Elle a encore pleuré lorsqu’il est allé en établissement privé, nous disant que ces écoles étaient pour des « nuls », que ce n’était pas le cas de Frédéric. Elle s’est rassurée au deuxième trimestre et comme je lui demandai si elle n’allait pas voir les résultats du bac, elle m’a répondu « Ce n’est pas la peine, il a réussi ».
Elle a ensuite récidivé en nous disant qu’il fallait l’envoyer à Lille pour faire Médecine, car il n’y arriverait jamais à Nice. (le numerus clausus était au plus bas).
Elle n’a enfin soufflé réellement que lorsque Frédéric a été admis en 2eme année.
Le frère aîné faisant des études d’informatique, sans en être conscient, a permis à Frédéric de bien se débrouiller avec un ordinateur. Celui-ci a dû plus d’une fois l’observer et enregistrer sans que personne s’en rende compte.
C’est lui qui a encouragé son frère à faire Médecine, l’assurant qu’il était fait pour.
Il a été aussi un boute en train lorsque le moral des troupes baissait.
En tant que parents nous avons eu beaucoup de chance car nous étions à même de nous informer, de comprendre les souffrances des uns et des autres et si nous sommes passés par des moments d’angoisse nous avons réussi à maintenir l’unité de la famille. Ce n’est malheureusement pas toujours le cas.
En conclusion, ce que les circonstances m’ont permis de faire pour mon fils, il faudrait, pour les enfants qui ne peuvent pas avoir, pour différentes raisons, l’aide de leur famille, mettre en place une prise en charge pédagogique adaptée de longue durée, en parallèle avec une prise en charge orthophonique qui doit être mise en place de façon circonstanciée.
Il vous semblera peut être, en le lisant que c’est très anecdotique, mais derrière l’anecdote il y a toujours une souffrance ou une source d’espoir.
Frédéric est né dans une famille médicale : son père est médecin (neuro-psychiatre) et sa mère ancienne monitrice d’école d’infirmière travaille dans le cabinet de son mari.
(Cela a une certaine importance).
Il a un frère de 8 ans son aîné et une sœur qui a un peu moins d’un an de plus que lui.
Une aide familiale prend en charge les enfants de la sortie de l’école jusqu’au retour des parents qui se situe aux alentours de 20h.
Après 3 ans de maternelle, Frédéric rentre à l’âge normal en Cours Préparatoire.
En cours préparatoire :
Dans un premier temps, tout se passe bien.
C’est pendant les vacances de Pâques que Frédéric commence à se plaindre de ne pas pouvoir lire des livres comme le faisait sa sœur l’année précédente à la même époque, demandant : Quand est-ce que je saurai lire ?
Tout le monde le rassure, car à ce moment là, il a beaucoup moins avancé dans le programme de CP que sa sœur au même moment, sa maîtresse allant plus lentement.
Un mois plus tard, notre aide familiale me demande si je peux me libérer un soir, pour aller le chercher à l’école, me disant qu’elle aimerait que je le voie à ce moment-là.
Je vais donc le chercher et je reste stupéfaite par son état prostré. Après le goûter je m’intéresse à ses devoirs et me rend compte très vite qu’il a beaucoup de mal à déchiffrer la leçon qu’il a à lire. Il semble épuisé. Or Frédéric est habituellement un enfant très gai et plein de vie.
Après un moment de jeu son caractère joyeux reprend le dessus et la journée se termine calmement.
Au dîner, je raconte ce qui s’est passé à mon mari et nous décidons que j’irai voir la maîtresse pour essayer de comprendre.
La maîtresse me fait des éloges de Frédéric et ne s’inquiète aucunement de ses difficultés en lecture, (il faudra le faire lire un peu pendant les vacances). Toutefois, comme je m’inquiète de son état à la sortie de l’école, la maîtresse me dit alors qu’il se couche souvent sur son bureau mais que c’est sans doute parce qu’il est fatigué. Or c’est un enfant qui ne se couche pas tard, qui s’endort vite et qui paraît tout à fait reposé le matin et plein de vie.
Le week-end suivant, mon mari fait lire Frédéric et immédiatement évoque une dyslexie.
Mais le temps passant, son état se dégrade, évoluant vers un état dépressif qui commence à nous inquiéter. L’arrêt de la scolarité a même, à un certain moment, été envisagé.
Confrontés à un problème inattendu nous décidons de nous réorganiser sur le plan professionnel et je me libère pour être présente à la sortie de l’école et apporter mon aide à Frédéric.
Très vite je me rends compte que je suis totalement inefficace.
Un bilan orthophonique est alors réalisé mettant à jour une dyslexie mixte.
Une prise en charge est donc organisée pour l’année suivante. Entre temps les vacances arrivant, nous espérons que Frédéric retrouvera sa joie de vivre.
Mais nous nous posons des questions : Pourquoi ?
Frédéric était bien le dernier pour lequel nous avions des inquiétudes, le Directeur de l’école nous ayant du reste, à la rentrée précédente, proposé de lui faire sauter une classe.
Nous nous organisons donc pour faire face : Mon mari, étant donné sa profession, préfère que ce soit moi qui face le lien avec l’école et que je m’occupe donc de la scolarité et de la rééducation. Il prend en charge par contre toutes les activités extrascolaires, qui vont des loisirs habituels aux séances de jardinage et de bricolage. (Vive la bêche et le pinceau !!!).
En CE1
L’année est très difficile, l’institutrice ne connaît pas la dyslexie. (Moi non plus !) Elle n’admet pas que Frédéric puisse sortir un peu plus tôt de l’école 2 jours par semaine pour la prise en charge orthophonique, et nous devons donc composer avec les horaires de l’orthophoniste et la fatigue de Frédéric.
En fin d’année, pour rassurer la maîtresse, je vois le psychologue scolaire avec tous les cahiers de Frédéric (travail fait en classe et travail fait à la maison) car elle ne veut pas prendre la responsabilité du passage en classe supérieure. J’explique au psychologue les difficultés de Frédéric et comment j’ai travaillé tout le long de l’année, lisant les leçons à apprendre, les enregistrant sur cassette, lisant les consignes des exercices et laissant Frédéric faire ses devoirs au brouillon et les recopier après que j’aie corrigé (uniquement les fautes d’orthographe) pour qu’il rende un travail le plus propre possible.
Le psychologue m’écoute, m’avouant qu’il ne connaît pas la dyslexie, mais qu’en regard des cahiers et du suivi de Frédéric, il a peur qu’il s’ennuie si on le fait redoubler.
Comme l’orthophoniste veut arrêter les séances car elle pense avoir atteint un palier et préfère laisser passer un peu de temps, le psychologue me conseille alors de lui demander de continuer la prise en charge, pour rassurer l’institutrice et pour me soulager d’une partie du travail que je fais tous les jours !!!
Pendant cette année de CE1, des gestes stéréotypés apparaissent et nous hésitons à mettre en place, en plus, une prise en charge psychomotrice.
CE2
Son instituteur le prend merveilleusement en charge. Il fait tout son possible pour lui redonner confiance et atténuer son angoisse, l’interrogeant à l’oral, ne le pénalisant pas pour ses fautes d’orthographe… et grâce à des jeux très rapides en groupe dans la cour de l’école, il réussit même à faire cesser les gestes stéréotypés.
La seule remarque qu’il nous fait, c’est qu’il fallait lui laisser le temps d’apprendre à contourner ses difficultés. Selon lui si on ne l’arrête pas il peut aller très loin. Il nous conseille de continuer à l’aider et de prendre sur nous la responsabilité de le faire passer de classe en classe.
Par la suite, dans les moments de découragement, j’ai souvent repensé à lui et j’ai toujours suivi son conseil.
Tout au long du CM1 et CM2 je continue à lui apporter mon aide. Les enseignants sont très réticents vis-à-vis des séances d’orthophonie. Nous les arrêtons donc pensant les reprendre un peu plus tard. A la place Frédéric commence des leçons de musique. Nous expliquons au professeur ses difficultés. Dans notre esprit il ne s’agit pas d’en faire un concertiste mais de profiter de son goût pour la musique pour lui faire travailler un autre type de lecture, d’entraîner ses yeux à un autre balayage et de faire travailler ses doigts de façon plus ludique, sans qu’il y ait une pression trop grande.
La lecture des notes s’avère très difficile et comme Frédéric a une bonne oreille musicale, il apprend très vite les morceaux et joue à l’oreille. Le déchiffrage est resté difficile mais la dextérité des doigts s’est, elle, améliorée au fil du temps. Par la suite il a fait beaucoup d’exercice de rythme.
Au collège :
6eme :
Dès la rentrée, je prends contact avec le principal du collège pour lui expliquer les difficultés de Frédéric. Il m’écoute poliment et me dit qu’il ne sait pas ce qu’est la dyslexie, qu’il veut bien me croire mais qu’il ne voit pas trop en quoi il peut nous aider.
Je continue l’apprentissage oral des connaissances.
Règles de grammaire : Il les sait par cœur mais ne les applique jamais.
Orthographe : Etude de mots avec le dictionnaire pour qu’il en connaisse bien le sens. (Je m’étais rendu compte qu’il faisait des erreurs de mots en parlant mais sans penser que cela pouvait être de la dysphasie). Il peut avoir de bonnes notes en autodictée mais cela ne lui sert à rien. Il est capable d’écrire le même mot de trois façons différentes dans le même texte.
Nous essayons de lui faire faire du latin pour voir si cela peut l’aider. Echec complet.
Mathématiques : J’obtiens non sans mal qu’on lui laisse sa table de multiplication bien qu’il sache se débrouiller en calculant : 3x6= 3x(5+1). Il sait la table de 2 à 5 sous forme de suite : 2,4,6,8…., 3,6,9,…..
Je lui lis systématiquement les énoncés de problème tout en lui apprenant la technique : lire l’ensemble de l’énoncé une ou plusieurs fois avant de reprendre les questions les unes après les autres.
Histoire, Géographie.
La copie des cours sur le tableau est pratiquement impossible. Les cours sont pleins de faute et souvent incomplets par manque de temps.
Je le fais travailler sur les livres et j’enregistre les points importants à mémoriser. Il peut travailler ainsi sans que je sois continuellement sur son dos.
Je prends rendez-vous avec le professeur principal : professeur de Français et d’Histoire pour faire le point en fin de 1er trimestre.
Il est certain qu’elle n’a jamais entendu parler de dyslexie et est très sceptique. Lors de notre conversation, en présence de Frédéric, elle me dit que s’il ne peut pas faire autre chose, il pourra toujours faire électronique. Malheureuse remarque, car depuis ce jour là il n’a plus voulu toucher un ordinateur même pour jouer.
Mais Frédéric a beaucoup de chance car en histoire, ce professeur donne à ses élèves des exposés à préparer en binôme.
Frédéric et son camarade qui le connaît depuis le CE1, préparent en début du second trimestre un exposé sur la Grèce antique. Ils travaillent ensemble l’exposé, à l’aide de l’encyclopédie et de divers documents. Son camarade lit à haute voix et écrit le texte sous la dictée de Frédéric.
Le jour de l’exposé arrive et par un bienheureux concours de circonstances, le principal du Collège est présent. Le camarade ne voulant plus faire l’exposé, Frédéric se lance alors à son secours et sans notes se met à parler de la Grèce et répond à toutes les questions qu’on lui pose. Ce sera le seul 20/20 de sa scolarité.
L’après midi, je reçois, non sans éprouver sur le moment une certaine inquiétude, un appel du Principal qui me raconte ce qui vient de se passer et me dit comprendre à présent ce que j’avais essayé de lui expliquer.
Et c’est ainsi que Frédéric a désormais un précieux soutien au sein du collège et que le regard de ses camarades n’a plus jamais été le même.
Psychologiquement c’est très important.
Le professeur de Mathématique s’arrache un peu les cheveux lors du passage en 5eme, mais je lui dis que nous prenons tout sur nous, qu’elle ne sera pas responsable de son échec en 5eme.
5eme :
J’apprends par une revue médicale qu’un Congrès international a lieu au ministère de la santé à Paris sur la dyslexie. Je m’inscris immédiatement.
C’est là que j’entends pour la première fois le Professeur Gallaburda (USA) parler des travaux de recherche sur des cerveaux de personnes décédées dont on savait qu’elles étaient dyslexiques. Il explique que le cerveau de toutes ces personnes présente une configuration très différente par rapport à la norme et que l’on peut trouver des familles de dyslexiques.
Je rencontre ce jour là des parents anglais et un chef d’établissement de Collège anglais. J’apprends ainsi qu’en Grande Bretagne des établissements spécialisés existent depuis de nombreuses années. Malheureusement ma connaissance limitée de la langue m’empêche de suivre la discussion très vive qui s’est engagée entre eux. Je sais qu’une mère disait qu’elle avait choisi de faire faire du violoncelle à son fils qui aimait la musique car les dyslexiques ne pouvaient pas faire du piano. Je me souviens avoir dit que Frédéric en faisait mais que nous lui avions fait faire du piano non seulement parce qu’il aimait la musique mais aussi comme une rééducation plus ludique.
Je suis revenue avec de la documentation et nous avons eu avec mon mari une longue séance de réflexion sur ce que cela pouvait changer. En fait je crois que nous avions grâce à la formation de mon mari, essayé de compenser certains signes qu’il avait détectés.
Nous sommes donc confortés sur le fait que la prise en charge de la dyslexie et de la dysorthographie de Frédéric ne doit pas être seulement pédagogique ou orthophonique mais qu’il est important de continuer à le stimuler diversement et que pour lui les activités extrascolaires sont très importantes.
Grâce à internet j’essaie de mieux m’informer, en particulier sur les sites canadiens plus accessibles.
En 4eme :
Le professeur de Mathématiques a déjà eu Frédéric en 6eme. Comme je la croise dans le collège, (je sors d’une réunion) elle m’interpelle, pour me dire que j’ai raison au sujet de Frédéric. Elle me dit : « Il a toujours de mauvaises notes, mais il suit très bien. Or s’il n’avait pas acquis le programme en 6eme et 5eme ce ne serait pas possible. Ses notes à l’écrit ne veulent rien dire car il a les connaissances. On peut s’en rendre compte car il participe beaucoup en classe. Continuez comme vous le faites. Il faut gagner du temps. »
Le professeur de Français s’inquiète quant à elle et me conseille de lui faire donner des leçons pour améliorer ses résultats. Je lui propose qu’il reprenne des séances d’orthophonie mais elle me dit qu’il vaut mieux lui faire faire des exercices. Va donc pour des cours de Français et de Latin 2 fois par semaine.
J’enregistre sur cassettes les livres que Frédéric doit avoir lus.
Au deuxième trimestre, Frédéric ne va pas bien et est à nouveau au bord de l’état dépressif. Plutôt que de le traiter, nous choisissons de lui changer les idées en l’envoyant pendant les vacances de Pâques en Angleterre. Il en revient heureux d’avoir su se débrouiller mais pas amoureux fou du pays !!
Les cours de français se sont prolongés en 3eme, sans résultats probants. Il est strictement illisible.
Frédéric demande alors à reprendre des séances d’orthophonie, pour améliorer son écrit. Après une discussion familiale générale, il nous semble à tous que ce qui serait bien c’est qu’il fasse sa seconde en deux ans pour lui laisser un temps de rééducation suffisant avant l’entrée en première.
Nous prenons rendez-vous avec le proviseur du lycée à qui nous expliquons la problématique. Celui-ci se montre compréhensif et ne voit aucune objection au projet. Nous tenons à ce que l’établissement soit informé pour qu’il n’y ait pas de pression excessive concernant l’obligation de résultat.
En Lycée :
2eme :
La prise en charge orthophonique est mise en place avec l’orthophoniste qui l’avait suivi en CE1, CE2.
Les notes de Frédéric ne sont pas bonnes mais pas plus mauvaises qu’en 3eme malgré la hausse du niveau. Il a par contre gagné le concours de photos organisé par le lycée !!!
Au cours de la deuxième année, ses cours deviennent un peu plus lisibles même s’ils sont criblés de fautes d’orthographe.
Et la chance ne l’abandonnant pas, il a l’occasion de participer à un stage de ski de fond que sa classe a gagné, je ne me souviens plus comment.
Ils partent donc tous pour une semaine avec le professeur de mathématiques et de sport.
A son retour, je suis sur le quai du train des pignes et je le vois arriver avec ses enseignants et se diriger vers moi. Les enseignants me disent alors qu’ils viennent de découvrir Frédéric. Je les sens très troublés par ce qu’ils jugent être pour eux, une expérience peu banale. Ils me décrivent le Frédéric que je connais depuis toujours, tel qu’il est en famille.
Un garçon très dynamique, organisé, capable de prendre des responsabilités, d’animer un groupe, de couper du bois et de faire du feu dans la cheminée. Ils sont surpris de l’immense fossé qui existe entre le Frédéric du Lycée, très effacé et en difficulté et le Frédéric gai et entreprenant du stage.
Ce stage a certainement facilité son passage en première. Je n’ai pas eu à argumenter.
Pendant les vacances d’été nous avons l’opportunité (par l’intermédiaire d’une association) de l’envoyer pour un mois en Californie. Il doit partir de Paris avec un groupe de lycéens de toute la France. Au dernier moment pour équilibrer les bus aux USA, on demande un volontaire pour changer de groupe. Frédéric accepte tout de suite, puisque seul de Nice, peu lui importe de savoir avec qui il va se trouver. Il fait donc le voyage avec des élèves de terminales et de prépa du lycée Louis le Grand à Paris. Ce que nous ignorons complètement.
Lorsque nous allons le rechercher à Paris sur le chemin de nos propres vacances, nous avons à nouveau les félicitations très spontanées de l’accompagnant du groupe. Il nous précise qu’il se serait trouvé en difficulté s’il n’avait pas eu Frédéric pour rassembler tout le monde, récupérer les affaires des uns et des autres, retrouver les égarés à San Francisco. Il nous en remercie vivement.
1ère S :
La correction du premier devoir de Français est un modèle du genre : faute par faute, ligne par ligne. Le professeur est rentré en classe en disant : « Je vous annonce une grande nouvelle : Nous avons battu le record de fautes d’orthographe au lycée cette année ». Frédéric est donc allé le voir après le cours en lui disant qu’il regrettait mais qu’il ne le faisait pas exprès, qu’il était dyslexique et dysorthographique. L’enseignant lui a immédiatement répondu qu’il savait ce que c’était (enfin !) et qu’il n’allait préparer avec lui qu’un seul sujet pour le bac, qu’il aurait - 4 pour ses fautes mais que s’il faisait un devoir bien construit, en exploitant au maximum ses idées il n’aurait pas beaucoup de points à rattraper. Toute l’année, il lui a donc appris à structurer son travail.
Résultat : 8 au bac français. (12-4). Inutile de dire la reconnaissance que porte Frédéric à cet enseignant.
Le passage en terminale n’étant pas accordé, nous proposons à Frédéric de lui faire faire sa terminale dans un établissement privé à petit effectif.
Après une très longue conversation avec la directrice d’un établissement qui nous avait été recommandé, Frédéric a accepté notre proposition et c’est ainsi qu’il a obtenu son bac avec mention assez bien.
Terminale :
Très tendu au début de l’année car il est conscient du coût de la décision que nous avons prise, je le vois petit à petit se détendre et retrouver son sourire.
A la fin du 2eme trimestre il me dit : « Je vais l’avoir ! »
Au dernier trimestre : « Je vais essayer d’avoir une mention ! ».
Que s’est-il passé ?
Un prise en charge « psychologique » très importante de la part des enseignants.
Frédéric très replié sur lui dans le cadre scolaire, se met enfin à oser poser des questions. Des réponses ciblées lui sont apportées dans un climat de très grande confiance.
Il réalise aussi qu’il a la chance d’avoir la volonté de s’en sortir et qu’il n’est pas le seul à avoir des difficultés.
Dans son groupe certains gaspillent de façon désinvolte l’attention qui leur est accordée alors que d’autres sont confrontés à des difficultés multiples, graves, qu’ils ont du mal à affronter.
Année Préparatoire à l’entrée en Fac de Médecine
Vers le mois de mai de la 1ère année, Frédéric se rend compte qu’il n’arrive pas au bout des QCM. Il a trop de difficultés en lecture. Il téléphone à son orthophoniste qui lui dit ne pas savoir comment l’aider car elle n’a aucune expérience avec des adultes. Je pense alors à une orthophoniste qui a l’habitude de la rééducation des personnes ayant eu des AVC. Après son échec au concours d’entrée, il lui téléphone et prend rendez-vous avec elle pour la rentrée.
Pendant sa deuxième année de 1ère année, il consacre une grande partie de son temps à la rééducation de la lecture.
Au bout de trois mois de séances d’orthophonie à un rythme assez intensif, son orthophoniste lui dit qu’elle n’ira pas beaucoup plus loin et qu’il devrait essayer des stages de lecture rapide.
Nous trouvons un stage pendant les vacances de Noël. Il téléphone à la personne qui organise le stage et lui explique sa situation. La personne lui répond que c’est la première fois qu’elle se trouve devant une telle demande et qu’elle est incapable de savoir si le stage va l’aider.
Il suit donc le stage. La monitrice est impressionnée par ses difficultés : les autres participants sont des personnes ayant besoin pour des thèses, des travaux de recherche, de lire un grand nombre de documents.
Au bout de la semaine de stage, il a fait des progrès mais sans atteindre un rythme correct. Elle lui demande de s’entraîner régulièrement et lui offre de participer gratuitement au stage de Pâques car elle a envie de savoir jusqu’où il peut aller.
Pendant le second stage, sa pratique s’améliore encore et finalement c’est ce qui lui a permis de réussir le concours d’entrée en Médecine.
Toutefois en situation de stress il n’est pas encore à l’abri d’erreur dans la lecture de consigne. C’est ainsi qu’en 2eme année lors de l’examen de fin d’année, surpris par sa note en biologie, il va trouver son professeur pour lui demander ce qui s’est passé. L’enseignant lui répond que la question qu’il avait traitée était super mais que ce n’était pas la question posée.
Il a donc encore à dominer son angoisse, mais petit à petit sa lecture devient plus fluide, lui permettant même de lire à voix haute lors d’une réunion (personne ne voulant lire) un document proposé à la réflexion.
Il a peut-on dire réussi à maîtriser la lecture et surtout trouvé enfin le goût de lire. Depuis le CP, il lui a fallu être patient !!!
C’est aussi en 2eme année qu’il se réconcilie avec l’ordinateur pour pouvoir taper les polycopiés des cours qu’ils ont à rédiger à tour de rôle. Le correcteur d’orthographe est alors précieux.
Car malheureusement son orthographe ne s’est pas améliorée. Il colle chaque année à un certain nombre d’épreuves écrites en juin. Mais par chance les épreuves se repassent oralement en septembre.
Frédéric prend l’habitude de passer de longues matinées à l’hôpital, de travailler sur les dossiers des patients, et de les examiner. Il peut ainsi bénéficier pleinement de la formation au lit du malade lors de la visite avec les médecins. Pour ces derniers, il est un peu un cas, car les stages ne sont guère suivis par les étudiants à cette époque.
Par la suite, pour des raisons que je n’aborderai pas car trop longues à expliquer, il est admis, après entretien avec un professeur des hôpitaux de Paris et un professeur de l’Ecole Centrale de Paris, à suivre une formation doctorante en gestion d’ Etablissements Sanitaires. Cette formation a lieu à l’Ecole Centrale de Paris, quelques jours par mois pendant 2 ans. Ils sont dix à la suivre avec tous un projet personnel.
Le responsable de la formation lui demandant un jour : Que faut-il faire pour avoir des dyslexiques à l’Ecole Centrale ?
Il lui répond de s’adresser à l’Education Nationale afin qu’elle permette, en toute connaissance de cause, que les enfants ayant des difficultés de langage oral et écrit puissent poursuivre des études dans de bonnes conditions.
Les difficultés de Frédéric ont eu des répercussions sur la famille. La première a été de nous obliger à nous organiser très sérieusement.
Mais l’union faisant la force, chacun a pris selon les moments, sa part de la charge.
La sœur de Frédéric étant dans la classe immédiatement au-dessus de la sienne, cela me permettait de voir où il se situait. Les conversations autour de la table familiales sont très révélatrices et très précieuses.
Lorsque nous avons décidé que Frédéric ferait sa seconde en deux ans, sa sœur, l’année d’après, a voulu à tout prix redoubler sa 1ère, disant qu’elle n’aurait jamais son bac si elle passait en terminale. Elle a toujours bien travaillé et il n’y avait aucune raison pour qu’elle redouble. Elle aurait pu au pire redoubler sa terminale. Elle était dans un tel état, que nous l’avons laissée redoubler, en pensant que ça lui permettrait de souffler un peu, de se désangoisser par rapport à son frère. Elle en a peut-être gagné une mention bien au bac, mais elle est restée toujours très angoissée.
Elle a encore pleuré lorsqu’il est allé en établissement privé, nous disant que ces écoles étaient pour des « nuls », que ce n’était pas le cas de Frédéric. Elle s’est rassurée au deuxième trimestre et comme je lui demandai si elle n’allait pas voir les résultats du bac, elle m’a répondu « Ce n’est pas la peine, il a réussi ».
Elle a ensuite récidivé en nous disant qu’il fallait l’envoyer à Lille pour faire Médecine, car il n’y arriverait jamais à Nice. (le numerus clausus était au plus bas).
Elle n’a enfin soufflé réellement que lorsque Frédéric a été admis en 2eme année.
Le frère aîné faisant des études d’informatique, sans en être conscient, a permis à Frédéric de bien se débrouiller avec un ordinateur. Celui-ci a dû plus d’une fois l’observer et enregistrer sans que personne s’en rende compte.
C’est lui qui a encouragé son frère à faire Médecine, l’assurant qu’il était fait pour.
Il a été aussi un boute en train lorsque le moral des troupes baissait.
En tant que parents nous avons eu beaucoup de chance car nous étions à même de nous informer, de comprendre les souffrances des uns et des autres et si nous sommes passés par des moments d’angoisse nous avons réussi à maintenir l’unité de la famille. Ce n’est malheureusement pas toujours le cas.
En conclusion, ce que les circonstances m’ont permis de faire pour mon fils, il faudrait, pour les enfants qui ne peuvent pas avoir, pour différentes raisons, l’aide de leur famille, mettre en place une prise en charge pédagogique adaptée de longue durée, en parallèle avec une prise en charge orthophonique qui doit être mise en place de façon circonstanciée.